پاسخی از اَلَن بدیو درباره‌ی جنبش جلیقه زردها در فرانسه

 11 ژانویه 2019

انتشار این متن آزاد است به شرط ذکر مأخذ : ندای آزادی، تارنمای جنبش جمهوری‌خواهان دموکرات و لائیک ایران

اَلَن بَدیو، در پاسخ به دعوت شبکه دوم تلویرونی فرانسه (Antenne 2) از او برای بیان دیدگاه خود نسبت به جنبش جلیقه زردهای فرانسه، در نامه‌ای به تاریخ 11 ژانویه 2019 به مسئولین برنامه و از جمله به مجری آن، خانم لئا سالامه Léa Salamé، از جمله چنین می‌گوید (متن پائین به زبان فرانسه):

“… من در جنبش جلیقه زردها، هیچ چیز که از دیدگاه سیاسی نوآور و ترقی‌خواهانه باشد مشاهده نمی‌کنم، هر چند که احساس آن‌ها نسبت به کاهش قدرن خرید درست و بیزاریِ‌شان از قدرت حاکمه مشروع باشد. دشمنانِ دشمنانِ من غالباً نه تنها دوستان من نیستند بلکه حتا می‌توانند بدترین دشمنانِ من باشند… وجود نشانه‌هایی گوناگون چون ردپاهای آشکار و مسلم ناسیونالیسم کوته‌بینانه، دشمنی نهان با روشنفکران، “دموکراتیسم” عوام‌فریبانه [دِماگوژیک] و آشفتگی در دیسکورهای این جریان، مرا از سوی دیگر  در ارزیابی‌ از آن به احتیاط وا می‌دارد…

 

,Cher Monsieur

Je vous remercie, ainsi naturellement que Léa Salamé, de votre invitation. Je n’ai, croyez-le bien, aucune opposition de principe concernant une participation à « Stupéfiant ». Je tiens seulement  à vous expliquer pourquoi je ne souhaite pas paraître, en ce moment, dans des émissions traitant de l’actualité politique. J’ai déjà du reste donné ces explications à Frédéric Taddeï, qui m’avait invité, comme il l’a déjà très souvent fait dans le passé – ce dont je le remercie – à venir parler de l’épisode « gilets jaunes » sur RTF.F

Il faut partir d’une considération générale : il existe parfois, dans les situations sociales, nationales, politiques, ce que j’appelle des fausses contradictions. A savoir des contradictions, éventuellement violentes, mais dont aucun des deux termes ne mérite d’être choisi ou soutenu. Pensons par exemple à la guerre de 14-18 : fallait-il obligatoirement choisir son camp pour cette tuerie finalement totalement vaine, et ce pour la seule raison qu’on était français, allemand, russe, ou italien ? Ceux qui, comme Romain Rolland ou Trotski ont répondu « non », et en ont averti l’opinion mondiale depuis la Suisse, avaient, si peu nombreux soient-ils, entièrement raison. Aujourd’hui, Dieu merci dans une situation infiniment moins dramatique, faut-il absolument choisir entre le gouvernement Macron et les gilets jaunes ?  Pour le moment en tout cas, je ne le pense pas. J’ai dit fermement, dès les élections présidentielles, que je ne me rallierai ni à Marine Le Pen, capitaine de l’extrême-droite parlementaire, ni à Macron, qui montait ce que j’ai appelé « un coup d’Etat démocratique », au service pseudo-réformateur du grand capital.l

Aujourd’hui, je ne change évidemment rien à mon jugement sur Macron. Mais je n’ai rien trouvé de politiquement novateur ou progressiste dans la mobilisation des gilets jaunes, si exact que puisse être leur sentiment de baisse du pouvoir d’achat, et si justifié que puisse être leur dégoût du pouvoir en place. Les ennemis de mes ennemis ne sont bien souvent, non seulement pas mes amis, mais des ennemis encore pires. Ainsi de Marine Le Pen au regard de Macron, par exemple. Je ne dis pas que ce soit le cas des gilets jaunes, mais je ne lis rien, ni dans leurs proclamations, ni dans leur désorganisation périlleuse, ni dans leurs formes d’action, ni dans leur absence de pensée générale et de mots d’ordre, qui puisse me convaincre qu’ils sont les amis, même éloignés, de la seule orientation qu’on puisse valablement opposer au pouvoir en place,  dont le seul  nom réel est « capitalisme », à savoir celle que je nomme le nouveau communisme. Divers indices, notamment des traces évidentes de nationalisme à courte vue, d’hostilité latente aux intellectuels, de « démocratisme » démagogique, et de confusion dans les discours, m’inclinent d’ailleurs à être prudent dans toute appréciation de ce mouvement. Car après tout, il y a un proverbe qui dit  que « tout ce qui bouge n’est pas rouge ». Et pour le moment, du « rouge », il n’est pas question : je ne vois, outre le jaune, que du tricolore, toujours un peu suspect à mes yeux.x

Au regard d’une fausse contradiction, le mieux est de s’abstenir de tout jugement prématuré, de se retirer sur l’Aventin pour apprécier les éventuels changements induits par le mouvement, et de rassembler, si c’est possible, un troisième terme gardien de l’avenir. Voilà ce que je voulais vous dire pour justifier ma réponse négative, circonstanciellement négative, à votre invitation.  Merci encore, et bien à vous.s

Texte adressé par Alain Badiou, le 11 janvier 2019, aux responsables de l’émission « Stupériant » sur France 2, qui l’avaient invité.é

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